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La Politique de l’expérience et l'oiseau de paradis: Laing

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La Politique de l’expérience et l'oiseau de paradis: Laing Empty La Politique de l’expérience et l'oiseau de paradis: Laing

Message par yanis la chouette Mar 4 Juil - 16:25

L’antipsychiatrie est un courant qui défend le point de vue que les traitements psychiatriques sont plus nuisibles que thérapeutiques, et représente aussi un mouvement de contestation qui s'opposait à de tels traitements depuis presque deux siècles. Elle considère que la psychiatrie est un instrument coercitif voire oppressif, en raison de la distribution inégale du pouvoir dans la relation médecin-patient, combiné avec un processus diagnostique qui lui paraît très subjectif1,2.

L'antipsychiatrie est issue des objections aux traitements, par exemple l'électroconvulsivothérapie2. Toutes les sociétés modernes autorisent les traitements imposés (sous justification psychiatrique) et les internements sous contrainte aux patients psychiatriques1.

Des problèmes contemporains de l'antipsychiatrie incluent la liberté face à la coercition, l'esprit face au cerveau, inné contre acquis, la liberté individuelle et le droit d'être différent. Il y a des groupes d'anciens patients devenus "antipsychiatriques", s'identifiant parfois comme étant « les survivants » de la méthode psychiatrique plutôt que des patients1.

Elle peut interpréter la maladie mentale dans une perspective sociologique, économique, voire spirituelle. Elle eut des développements sensiblement différents selon le contexte institutionnel, en France, en Italie ou en Grande-Bretagne par exemple.

Histoire

Durant la décennie 1960-1970, plusieurs psychiatres remettent en cause la prémisse de la psychiatrie classique, qu'ils caractérisent comme répressive. Parmi eux, Jacques Lacan, Thomas Szasz, Giorgio Antonucci, R. D. Laing, Franco Basaglia, Theodore Lidz, Silvano Arieti, et David Cooper. Y participent aussi les contributions du philosophe Michel Foucault et du sociologue Erving Goffman. En 1967, Cooper invente le mot « antipsychiatrie » puis, en 1971, écrit son livre La psychiatrie et l'antipsychiatrie (Psychiatry and Antipsychiatry, 1971)1,2,3. En 1961 dans son livre Le mythe de la maladie mentale (The myth of mental illness, 1961), Szasz affirme que la maladie mentale n'existe pas.
Le contenu de la théorie

Pour certains, la conviction centrale sur laquelle convergent les grands courants de l’antipsychiatrie est que l’asile devrait disparaître et les malades retrouver tous leurs droits de citoyen dans une société qui pourrait les accueillir, prendre en compte leurs potentialités créatrices.

Pour d’autres, généralement peu convaincus par les théories psychiatriques, la psychiatrie est une institution non pas médicale, mais plutôt politique et/ou religieuse médicalisée s’attachant à résoudre non pas les problèmes ou les maux des patients qu’elle traite, mais bien les problèmes posés à la collectivité par le comportement de ces mêmes patients, et ce au moyen de procédés coercitifs (internements, traitements, mensonges) contraires aux principes de l’État de droit4.

Pour certains, le cheval de bataille de l’antipsychiatrie est la question de la « relativité du normal et du pathologique » (Thomas Szasz). Pour d’autres, l’objet de l’antipsychiatrie est l’invalidation de la dichotomie « sain »/« pathologique » qui institue la notion de « norme » comme paradigme anatomique et sanitaire plutôt que comme variable sociale, sociétale, morale, philosophique et/ou politique, et consacrant de ce fait la confiscation, par les psychiatres, de problématiques politiques et sociales comme mesure de salubrité publique.
Des influences de la théorie

Par ailleurs, les thèses antipsychiatriques ont également grandement influencé les « thérapies familiales », qui, sans totalement s’affranchir de la terminologie de l’hygiène mentale, abordent « la folie » sous l’angle de victime émissaire, sorte de rôle de « fou du roi » qui, par sa conduite, dénoncerait entre autres les mythes familiaux en vigueur dans un système donné. C’est cette dénonciation qui serait désignée de « folie » et stigmatisée. Il en est de même du « dissident » soviétique qui doit avoir une bonne dose de « folie » pour dénoncer le mythe du « Paradis des travailleurs ».
Déclassification de l'orientation sexuelle et l'identité sexuelle en psychiatrie

Pour les droits et dignité des personnes LGBT qui ont subi la stigmatisation psychiatrique, le 18e principe des principes de Jogjakarta affirme que « en dépit de toute classification allant dans le sens contraire, l'orientation sexuelle et identité de genre d'une personne ne sont pas en soi des maladies et ne doivent pas être traitées, soignées ou supprimées »5.

Les Principes de Jogjakarta en Action affirment qu'il est important de noter que l'orientation sexuelle est déclassifiée dans beaucoup de pays, alors que l'identité de genre ou le trouble de l'identité sexuelle est resté en considération6.
Notes et références

↑ a, b, c et d Tom Burns (2006). Psychiatry: A very short introduction. Oxford University Press. p. 93–99.
↑ a, b et c Henry A. Nasrallah (December 2011). "The antipsychiatry movement: Who and why" (PDF). Current Psychiatry.
↑ Mervat Nasser (1995). "The rise and fall of anti-psychiatry" (PDF). Psychiatric Bulletin.
↑ Vol au-dessus d'un nid de coucou, film tourné en milieu psychiatrique, avec en partie des figurants malades mentaux, exprime parfaitement cette critique du monde asilaire. Le succès du film (il fut primé aux Oscars) reflète d'ailleurs l'intérêt du public pour le sujet ainsi que la réceptivité des masses à l'idée selon laquelle le monde asilaire perdait en pertinence.
↑ Principe de Jogjakarta, Principe 18. Protection contre les abus médicaux
↑ Un Guide des activistes aux Principes de Jogjakarta [archive]

Voir aussi
Articles connexes

Électroconvulsivothérapie
Family Life (film, 1971)
Groupe information asiles
Histoire de la psychiatrie
Mouvement désalieniste
Psychiatrie culturelle
Rapports entre la Scientologie et la psychiatrie
Principes de Jogjakarta en Action

Liens externes

« Les pièges de l’antipsychiatrie » [archive], Michel Laferrière, Philosophiques, vol. 4, no 2, 1977, p. 267-276.
OUBLIER L’ANTIPSYCHIATRIE ? [archive], Pierangelo Di Vittorio, Psychiatries dans l’histoire, J. Arveiller (dir.), Caen, PUC, 2008, p. 313-322
Zinzin Zine [archive] : Antipsychiatrie & compagnie. Réflexions contre la psychiatrie et pour d'autres approches de nos anormalités.

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AINSI


(it) Giorgio Antonucci, Il pregiudizio psichiatrico, Eleuthera, 1989, (ISBN 88-85861-10-5)
(it) Giorgio Antonucci, I pregiudizi e la conoscenza critica alla psichiatria (introduction par Thomas S. Szasz), ed. Coop. Apache, 1986
Franco Basaglia, L’Institution en négation, Seuil, 1970
Lucien Bonnafé, Dans cette nuit peuplée, Éditions sociales, 1977
Lucien Bonnafé, Psychiatrie populaire, par qui ? Pour quoi ?, Éditions du Scarabée, 1981
Giuseppe Bucalo, Dictionnaire antipsychiatrique, 1997 (extraits [archive])
David Cooper, Mort de la famille, Seuil, 1972
David Cooper, Psychiatrie et antipsychiatrie, Seuil, 1970
David Cooper, Le Langage de la folie, Seuil, 1978
Christian Delacampagne, Antipsychiatrie. Les voies du sacré, Grasset, 1974
Gilles Deleuze et Félix Guattari, L'Anti-Œdipe, Les Éditions de Minuit, 1972
Mony Elkaïm, Réseau Alternative à la psychiatrie, UGE, 1977
Michel Foucault, Histoire de la folie à l’âge classique, Gallimard, 1972
Bernard de Fréminville, La raison du plus fort : Traiter ou maltraiter les fous ?, Paris, éditions du Seuil, coll. « Combats » (no 42), mars 1977, 189 p. (ISBN 2020045885).
Harold Heyward/Mireille Varigas, Une Antipsychiatrie ? La Folie en questions, Psychothèque, 1971
Giovanni Jervis, Le Mythe de l’antipsychiatrie, Solin, 1977
Ronald Laing, La Politique de la famille, Stock, 1972
Louis Le Guillant, Quelle psychiatrie pour notre temps ?, Erès, 1984
(it) Gian Franco Minguzzi, Dinamica psicologica dei gruppi sociali, il Muliono, 1973
Thomas Szasz, Le Mythe de la maladie mentale, Payot, 1975
Thomas S. Szasz, Le Mythe de la psychanalyse, Payot, 1976
Thomas S. Szasz, Karl Kraus et les docteurs de l’âme, Hachette, 1985

Psi and Caduceus.svg
Associations

American Board of Psychiatry and Neurology (en) American Neuropsychiatric Association (en) American Psychiatric Association Campaign Against Psychiatric Abuse (en) Chinese Society of Psychiatry (en) Democratic Psychiatry (en) European Psychiatric Association (en) Global Initiative on Psychiatry (en) Hong Kong College of Psychiatrists (en) Independent Psychiatric Association of Russia (en) Indian Psychiatric Society (en) National Institute of Mental Health Philadelphia Association Royal Australian and New Zealand College of Psychiatrists (en) Royal College of Psychiatrists (en) Working Commission to Investigate the Use of Psychiatry for Political Purposes (en) World Psychiatric Association (en)

Sujets associés

Antipsychiatrie Psychiatrie comportementale (en) Neuroscience clinique (en) Imagerie génétique (en) Imagerie cérébrale Neurophysiologie Philosophie de la psychiatrie (en) Abus politique de la psychiatrie (en) Psychiatre Épidémiologie psychiatrique (en) Génétique psychiatrique (en) Mouvement des survivants psychiatriques (en) Psychosomatique psychanalytique Psycho-oncologie (en) Psychopharmacologie Psychochirurgie Psychanalyse

Listes

Aperçu du mouvement des survivants psychiatriques (en) Liste de psychiatres (en) Liste de troubles neurologiques (en) Liste de sujets associés au soutien psychologique (en) Liste de psychothérapies Liste des médicaments psychiatriques (en)
par condition traitée (en)

Le tailleur de pierres de Saint-Point
De Alphonse de Lamartine


Chapitre I.
Quand on sort de la jolie petite ville de Mâcon
en se dirigeant du côté des montagnes où le soleil
se couche, on suit d' abord pendant plusieurs
heures une grande route bordée de vignes, qui
monte et descend avec les ondulations du sol
comme la route d' un vaisseau sur une mer douce
à larges lames. De nombreux villages, aux toits de
tuiles rouges et aux murs blanchis par la chaux et
tapissés de pampres au-dessus de la porte,
s' élèvent au penchant de tous les coteaux et
fument au fond de toutes les gorges. Des prés
les entourent ; les cours sinueux des petites
rivières qui abreuvent ces prés sont tracés par
des rangées de saules tondus tous les trois ans
par la faux. Leur chevelure, flexible au moindre
vent qui retourne les feuilles et qui semble les
glacer d' argent, est juste assez longue et assez
touffue pour donner un peu d' ombre aux enfants
gardiens des vaches, et pour prêter un asile,
souvent
découvert, aux nids des rossignols et des
martins-pêcheurs. De lourds clochers en pierre de
taille, tachés par la pluie et revêtus de la
mousse grisâtre des siècles, dominent ces villages
en forme de pyramide allongée. L' oeil du voyageur
passe continuellement de l' un de ces clochers à
l' autre, comme s' il comptait, à droite et à gauche,
les bornes d' une voie romaine sur la route de cette
populeuse contrée. à l' ombre de ces pyramides à
jour, d' où retentit pour chaque habitant, au
branle de la cloche, la voix de la naissance ou
de la mort, on voit venir les mauves des
cimetières. C' est là seulement que se reposent les
laborieux vignerons de ces coteaux, après avoir
changé pendant soixante ou quatre-vingts ans leur
sueur en vin pour nourrir leurs femmes et leurs
filles. Une certaine gaieté douce court avec les
rayons du soleil, avec les rubans moirés des
ruisseaux, avec les reflets blancs des chaumières,
avec les chants des femmes et avec le carillon
des cloches, sur toute cette campagne. Le ciel
est doux, la terre sourit, le passant dit :
" j' aimerais à vivre là ! " et s' attriste en laissant
derrière lui ce gracieux et lumineux paysage.
à mesure qu' on s' avance vers le pied des montagnes,
la vigne cesse, les villages deviennent plus
rares ; ils finissent par se disséminer en petits
hameaux détachés, ou en groupes de deux ou trois
chaumières, de loin en loin, sur les pentes
escarpées des prés et des rochers tapissés de
buis. Quand on est parvenu au faîte de la
montagne dite du Bois-Clair , parce que le
soleil du matin, en se levant derrière le Jura
et le mont Blanc, frappait sans doute de ses
premières clartés les hautes branches de son bois
de chênes, on se retourne, sans y penser, pour
jeter un dernier regard à l' immense scène sur
laquelle le rideau noir de la montagne va
s' abaisser : le Mâconnais jauni par ses pampres,
la Saône glissant comme une longue couleuvre
argentée entre ses prés verts, la Bresse toute
veloutée de ses moissons et de ses saules, le noir
Jura, les Alpes d' or ;
et l' on redescend à pente rapide vers l' ancienne
ville claustrale de Cluny, abritée sous les
flèches bronzées et muettes des clochers de son
abbaye. Mais, au pied de la descente du Bois-Clair,
la route se bifurque : un de ses rameaux conduit
à Cluny à travers des prairies grasses et
monotones ; l' autre rameau mène dans les montagnes
du Charolais, toutes pleines de bois, d' étangs,
de pâturages mélancoliques et de mugissements de
troupeaux.

On suit quelque temps cette route déjà pastorale,
où l' on ne rencontre que quelques enfants en
haillons qui gardent les chèvres ou qui touchent
les boeufs le long des buissons. Puis tout à coup
les escarpements du Bois-Clair s' adoucissent à
votre gauche ; ils font jour à une petite
rivière appelée la Vallouze, qui sort d' une gorge
verte à vos pieds. Elle semble, par son
scintillement et par son balbutiement sur les
cailloux, sous les saules, vous engager à pénétrer
dans cette gorge et à visiter la mystérieuse
vallée tournante dont elle est la première
révélation. On se dit : " d' où viennent ces eaux,
et comment une si étroite gorge a-t-elle un si
murmurant écoulement ? Elle s' élargit donc ? Elle
est donc profonde ? Elle a donc des flancs haut
boisés et de rocheux réservoirs des sources qui
l' alimentent ? Qui sait ? Peut-être cache-t-elle
aussi dans ses détours quelque large bassin où
les prairies se déplient, où les forêts pendent,
où les mamelons se renflent, où les rochers portent
une église, un village, un squelette décharné
d' antique château ? Entrons. " et l' on tourne d' une
inflexion de sa main gauche la tête et les pas de son
cheval vers le sentier sablonneux au bord de la Vallouze,
qui entre dans la vallée de Saint-Point.

Ce qu' il y a de plus beau dans la beauté des formes
comme dans la beauté morale des caractères, comme
dans la beauté matérielle de la création, c' est
ce qu' il y a de plus voilé. Les mystères du corps,
du coeur ou de la nature sont les ravissements de
l' intelligence, de l' âme ou des
yeux. Il semble que Dieu ait jeté une ombre sur
ce qu' il a fait de plus délicat ou de plus divin
pour en provoquer le désir par le secret et pour
en modérer l' éclat à nos regards, comme il a mis
des cils sur nos yeux pour y tempérer l' impression
de la lumière, comme il a mis la nuit sur les
étoiles pour nous provoquer à les poursuivre de
l' oeil dans leur océan aérien, à mesurer sa
puissance et sa grandeur à ces clous de feu que
ses doigts, en touchant la voûte du ciel, ont
laissés pour empreinte sur le firmament. Les
vallées sont les mystères des paysages. On les
pénètre d' autant plus qu' elles cherchent davantage
à se recourber, à s' ensevelir, à s' abriter. Telle
est l' impression de la vallée de Saint-Point à
chaque pas de plus que le voyageur fait pour la
découvrir. Plus on la découvre, plus elle s' enfuit.
La vallée de Saint-Point n' est qu' une large
fissure que les eaux de quelque déluge, ou les
affaissements de quelques fondations du sol, ou
les déchirures de quelques secousses du globe ont
faite entre deux montagnes qui devaient jadis se
toucher. Avec le travail des siècles, les flancs
opposés de ces deux montagnes, qui courent du sud
au nord, se sont couverts de sable amené par je
ne sais quels océans taris, de terres rares et
maigres toujours reproduites par la végétation
des herbes et par la chute annuelle des feuilles,
toujours entraînées par leur poids, par les neiges
ou par les pluies d' hiver, au fond du ravin.
Maintenant des bois, des prés d' herbe fine comme
la toison verte de la terre recouvrent ces
ossements des deux montagnes parallèles. Mais
aux angles rentrants ou sortants des mamelons ou
des caps, dont les pleins d' un côté semblent
correspondre géométriquement au vide de l' autre
côté, on croit reconnaître sur un flanc de la
vallée ce qui manque à l' autre flanc. Ces deux
montagnes, pareilles à deux longs murs de
forteresse précédés, soutenus et flanqués
seulement de leurs bastions, ne laissent, du
levant au couchant, passage à aucune vallée
transversale. Au midi même, elle est fermée
complétement par un plateau très-élevé du sol, qui
ne laisse voir au-dessus de l' horizon que les
cônes et les coupoles sombres des crêtes lointaines
du Forez. On commence par y marcher au bord de
prés étroits où la rivière se glisse à peine sous
les aunes et sous les noisetiers. On respire
l' humide fraîcheur des ravins fermés à l' air
ambiant des grandes ouvertures. On n' a à sa
gauche que des éboulements sablonneux de granit
rose pourri et pulvérisé par le temps, à sa
droite que des branchages d' arbres aquatiques
où les merles empiégent leurs ailes en se levant
au bruit du pas du cheval, devant soi que les
sinuosités de plus en plus rétrécies du sentier,
qui semble ne pas savoir où il vous mène. Comme
un serpent qui cherche, en rampant entre les
herbes, sa route vers le soleil, il se plie à
toutes les sinuosités et à toutes les ondulations
du terrain.

Bientôt cependant on respire plus d' air, on sent
l' impression de plus de jour dans l' oeil, on
mesure un pan de ciel de plus entre les cimes
des deux chaînes de collines ; les prés s' étendent,
les pentes au-dessus s' adoucissent, la vallée
s' ouvre, ses deux flancs se creusent, comme les
flancs d' une amphore antique, pour contenir plus
d' espace, de lumière et de végétation. On traverse
un petit hameau caché sous les saules, appelé
Bourg-Vilain, du nom de son ancienne servitude.
Ce n' était dans l' origine qu' un groupe d' étables
où les bouviers et les chevriers du canton
abritaient leur bétail quand la neige couvrait
les prés. Peu à peu les étables sont devenues des
chaumières, ces chaumières des maisonnettes ; une
église rustique, surmontée d' une grosse tour
carrée et bâtie de blocs de granit irrégulièrement
posés les uns sur les autres, est venue les
dominer. Maintenant de petits jardins entourés
d' une haie d' osier vivant verdissent autour de
ces chaumières ; la chaux vive crépit proprement
les murs ; la vitre de verre remplace le volet
de bois noir ou le châssis de papier, et brille
aux petites fenêtres entre les tiges d' or des
giroflées.
à droite du village et à quelque distance, un
mamelon de sable rouge s' élève au bord de l' eau,
au milieu des prés. L' industrie du meunier a
profité de cet obstacle naturel pour opposer
une digue au ruisseau et pour construire une
écluse. Le moulin a pris de lui-même une forme plus
paysagesque que celle qui lui eût été donnée par
le pinceau capricieux d' un Salvator Rosa.
La nature est un grand artiste, quand on la laisse
conformer elle-même ses moyens à son but. Ce
moulin en est la preuve. Je ne passe jamais par
ce village sans admirer cette combinaison
irréfléchie, qui fait de cette construction
du hasard un modèle de pittoresque raisonné.

Ainsi, l' hiver la rivière déborde et noie les
prés : il a fallu bâtir la maison au-dessus de
ces débordements ; elle s' est assise par nécessité
sur le rocher, d' où elle voit et d' où elle est vue.
Il a fallu que le courant de l' écluse tombât sur
les palettes de la roue du moulin pour faire
mouvoir la meule : la maison a dû tourner un de
ses flancs à la rivière pour tendre sa roue à
l' eau ; l' écluse à mi-côte, l' eau qui s' en échappe
en faisant cascade contre les murs, les mousses
verdâtres qui s' y attachent et qui donnent aux
soubassements l' apparence du vert antique ; les
murmures et les ronflements de la chute du ruisseau
impatient de jaillir de l' écluse, les
scintillements de ses gouttes écumeuses à travers
les branches et sur les feuilles trempées des
vernes ; les rideaux de peupliers et de platanes
qui ont poussé d' eux-mêmes, les pieds dans le
ruisseau, et qui entre-croisent leurs rameaux
de diverses teintes sur le toit de tuiles rouges
comme un second toit ; la cavité au flanc de la
maison, d' où le moyeu tend la roue à l' écluse et
qui ressemble à une grotte sombre voilée de brume ;
le colombier qu' il a fallu ajouter ensuite au
moulin, parce que le pigeon suit le grain qui
tombe ; la tour carrée qu' il a fallu élever d' un
étage au-dessus du toit de la maison, pour que les
ramiers reconnussent de loin leur retraite
au-dessus des arbres ; le sentier
tournant qu' il a fallu tracer à la pioche sur les
flancs du mamelon, dans le sable jaune, pour que
les ânes et les chars des hameaux voisins le
gravissent sans peine avec leurs sacs ; la
poussière du blé vanné qui sort de la fenêtre ;
la fumée bleue qui rampe du toit entre les cimes
des peupliers ; les chèvres qui broutent, les
pieds dressés contre le mur au nord, aussi vert
de végétation saxillaire qu' un pré ; les volées
de colombes qui s' abattent sur la cour et qui
disputent le grain aux coqs et aux poules ; l' âne
qui monte ou qui descend par l' escalier de roche ;
la meunière qui coud à sa fenêtre, la tête noyée
dans un rayon de soleil couchant répercuté par
les vitres en feu de sa chambre haute ; les
enfants qui grimpent en riant vers elle par
l' échelle verdoyante du lierre, dont les réseaux
encadrent cette ouverture au-dessus des eaux ;
toute cette architecture née du hasard ou de la
profession, eau, murs, arbres, roches, aire,
sentier, cascade, galeries suspendues, tour
culminante, lignes harmonieuses, ombres et
lumières distribuées comme par la combinaison
la plus étudiée, se groupant à la seule indication
de la vie rurale, et se détachant, aux diverses
heures du jour, en couleurs diverses du fond
sombre ou éclairé de la montagne qui leur sert de
toile : toute cette fabrique, dis-je, défierait
l' imagination d' un poëte ou d' un peintre de
l' égaler en grâce et en rusticité. Elle prend
l' imagination par les yeux, elle prend l' âme
par la sérénité. C' est une pensée de Théocrite
bâtie en roches au milieu des prés ; c' est un
vers de Virgile murmurant en soupirs au bord
des eaux courantes. C' est une toile de Claude
Lorrain inondée de paix et palpitante de vie.
C' est l' art suprême de cet architecte qui ne
connaît pas l' art, cet effort du beau : c' est le
moulin de Saint-Point. Je vois d' ici le
rejaillissement du soleil levant sur ses tuiles ;
j' entends d' ici le bruit cadencé de son blutoir,
ce coeur de la maison, ce pouls du moulin !
Après ce moulin, la vallée devient un bassin
d' environ
un quart d' heure de traversée, au milieu duquel se
renfle une colline basse, dominée à son sommet par
un vieux château flanqué de tours compactes, et
par la flèche dentelée d' un clocher roman. Au
pied de la colline courent des prairies bordées
d' aunes, de cerisiers et de gros noyers. On
aperçoit à travers les troncs de ses arbres les
murs, les toits et le pont rustique d' un village
bâti à l' ombre du château et composé de quinze
ou vingt maisonnettes de laboureurs, de métayers
ou de petits marchands de denrées rustiques,
toujours groupés autour de l' église des hameaux.
Ces vieilles tours, minées à leur base par le
temps, qui les a fait craquer et se fendre sous
le poids, décapitées à leurs sommets de la flèche
qui les élevait jadis dans le ciel, et ne servant
plus aujourd' hui qu' à flanquer un lourd massif
carré de pierre brute, percé d' un escalier tournant
et de quelques chambres voûtées, voilà ma demeure.
J' ai semé des gazons, j' ai tracé des allées sablées
dans les bosquets de noisetiers qui l' entourent ;
j' ai enfermé dans une enceinte de murs quelques
arpents de terre et de prés qui suivent les
ondulations et les caprices de la colline ; j' ai
préservé de la faux ou de la hache du fermier
quelques grands arbres dont les rameaux m' ont
remercié en s' étendant sur mes pelouses. J' ai
percé quelques portes et quelques fenêtres dans les
murs de cinq pieds d' épaisseur du vieux manoir ;
j' ai attaché à la façade principale une galerie
massive de pierres sculptées sur le modèle des
vieilles balustrades gothiques d' Oxford. C' est
sur cette galerie que les hôtes de la maison se
promènent le matin au soleil levant ou s' assoient
le soir, à l' ombre immense des tours, sur le pré
en pente. On y attache à des clous les cages des
oiseaux ; les chiens s' y couchent à nos pieds sur
les dalles tièdes ; des paons familiers, qui
peuplent les jardins, à qui nous émiettions du
pain dans leur enfance et qui s' en souviennent,
perchent jour et nuit sur le parapet de la
balustrade, leur queue brillant au soleil et flottant
au vent. Ils bordent d' une rangée de cariatides
vivantes cette lourde galerie de pierres, comme
les cigognes forment des créneaux vivants de leur
blanc plumage au bord des toits des villages de
l' Asie.

La vue s' étend de là, en descendant et en remontant,
sur la plus belle partie de la vallée de
Saint-Point. L' oeil d' abord glisse sur des prés
en pente rapide. Ils vont mourir dans une prairie
nivelée par les eaux. Cette prairie est traversée
au milieu par la rivière de la Vallouze. De gros
noyers au feuillage de bronze, immobile comme des
feuilles de métal, des peupliers blancs aux troncs
tordus par les rafales et au feuillage plus
chevelu et plus blanc que la tête d' un vieillard
encore vert, des peupliers, ces cyprès d' Europe,
des vernes, des bouleaux, des aunes interdits
depuis vingt-cinq ans par moi à la serpe de
l' émondeur d' arbres, penchés des deux bords de la
rivière sur l' eau qu' ils aiment et qui les aime,
forment, en s' entrelaçant sur son cours, une
voûte élevée, flottante, capricieuse, de
feuillages de toutes les teintes, véritable
mosaïque de végétation. La moindre haleine de
vent d' été balance tout ce rideau mobile et fait
sortir des ondoiements, des souffles, des moires
de feuillage, des volées d' oiseaux et des
senteurs végétales qui désennuient les yeux, qui
varient l' aspect et qui montent en légers bruits
et en fugitives odeurs jusqu' à la galerie.

Après la rivière et la prairie, le regard commence
à remonter par étages les flancs gras et renflés
de la haute chaîne de collines qui sépare la vallée
de Saint-Point de l' horizon du Mâconnais, de la
Bresse, du Jura et des Alpes. Ce sont d' abord
de grandes terres rougeâtres, profondes de sol,
opulentes de végétation forte comme les fèves
en fleur, les betteraves à larges feuilles
vernissées, les pizettes touffues, sur lesquelles
flottent au lever du soleil des flaques blanches
de rosée ; puis quelques vergers entourés de
haies de pruniers sauvages, sous lesquelles
ruminent de belles vaches tigrées de noir et de
blanc, dont on entend les mugissements
mélancoliques répercutés de colline en colline.
Deux ou trois petits hameaux à mi-côte au-dessus
de ces terres et de ces vergers fument au-dessus
des arbres potagers. Le regard franchit ces
fumées et suit au delà, sur des pentes plus
rapides, de profonds ravins creusés dans le
sable rouge. De loin en loin on y aperçoit des
chars chargés de fumier et tirés péniblement par
des vaches blanches que le paysan conduit aux
défrichements supérieurs, pour engraisser un peu
ses avoines maigres ou ses orges tardives.
D' autres descendent chargés de branchages de hêtres
et de châtaigniers destinés à chauffer les fours où il
cuit son pain. Les feuilles traînantes derrière les
tombereaux balayent ces ravins comme le genêt de la
ménagère balaye le seuil luisant de sa maison.
Ces chemins creux, pareils à l' ouverture des grottes,
s' enfoncent et se perdent à l' oeil, derrière les
tournants des mamelons, dans la chair même de la
montagne ou sous l' ombre des bois de châtaigniers.
On ne reconnaît plus leurs traces qu' à la voix
lointaine du bouvier, qui encourage ses bêtes à
monter encore. Ces voix, grossies par le dôme
des châtaigniers et répercutées de tronc d' arbre
en tronc d' arbre, mêlées aux hennissements des
poulains dans les prés, aux mugissements des
boeufs couchés dans les hautes herbes, aux
bêlements des moutons, aux chevrotements des boucs,
aux gloussements des poules, aux chants des
oiseaux dans les buissons, aux gémissements des
essieux criards de la charrue dans le sillon, aux
chutes de l' eau des écluses auprès des moulins, aux
tintements de la cloche qui sonne l' angelus du
matin, du midi et du soir aux laboureurs et aux
bergers à l' ouvrage, remplissent ce bassin sonore,
entre les deux chaînes, d' un murmure pareil à celui
de ces coquillages de mer que l' on approche de son
oreille pour entendre l' éternel retentissement des
mers.

Plus haut enfin, les groupes de châtaigniers et de
hêtres
entrecoupés de champs de bruyères violettes et de
genêts aux fleurs jaunes hérissent les mamelons
supérieurs ; puis la végétation s' appauvrit aux
souffles trop frissonnants des régions froides,
ou contracte la stérilité du rocher. Les crêtes
presque nues ou seulement crénelées de quelques
troncs de houx et de quelques torches d' épines se
perdent dans le bleu du ciel ou dans les brumes
flottantes des hautes cimes. Ces brumes, en voilant
toujours les limites indécises de la terre et du
ciel, font présumer aux regards des élévations
infinies où la pensée aime à s' égarer. Le
brouillard est aux montagnes ce que l' illusion est
au sentiment : il les agrandit. C' est le mystère
qui plane sur tout ici-bas et qui solennise tout
aux yeux comme au coeur.

Telle est la vue qu' on a de la galerie de
Saint-Point du côté du matin. Du côté du soir,
ce sont des pentes moins inclinées, des rentrées
et des saillies de la colline plus douces, des
hameaux plus rapprochés et plus assis sur des
plateaux de pelouses vertes, des bois plus
uniformes et plus sombres étendus sur de plus
molles déclivités. Les grandes ombres qui s' y
déploient de bonne heure au soleil couchant
les rendent encore plus veloutés à l' oeil. Le
caractère sauvage y fait place au caractère
bocager et pastoral des plus fraîches vallées des
Alpes. Quand on veut admirer, prier, rêver, on
regarde les montagnes du côté du matin ; quand
on veut espérer, envier, jouir, se recueillir dans
les images d' une vie champêtre, on regarde les
montagnes du côté du soir. Les unes sont un
tableau de félicité sur la terre, les autres une
échelle d' aspiration infinie au ciel, toutes deux
une des plus belles toiles de la décoration du
drame de la vie heureuse où s' est joué le pinceau
du créateur.

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yanis la chouette

Messages : 678
Date d'inscription : 24/02/2017

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